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marussie
6 août 2015

Mort de l’historien, espion et poète Robert Conquest

L'historien Robert Conquest (à gauche) avec le président George W. Bush à Washington en novembre 2005.

Robert Conquest est mort à l’âge de 98 ans, à Palo Alto (Californie), lundi 3 août. Un livre a particulièrement compté dans la carrière de cet historien né en Angleterre et installé aux Etats-Unis dans les années 1980 : celui qu’il a consacré, en 1968, aux purges staliniennes (1937-1938), La Grande Terreur. Avec une lucidité qui fait dire à son confrère Timothy Garton Ash qu’il fut « Soljenitsyne avant Soljenitsyne »,Robert Conquest y reconstitue, de manière détaillée, notamment grâce aux témoignages des survivants, la trame générale de la Grande Terreur, insistant sur son degré de centralisation, sur la paranoïa de Staline et le nombre effroyable de victimes fixé par lui à 20 millions, qu’il s’agisse de mort par exécution, de famine ou dans les camps de travail. Ce livre pionnier, traduit dans une vingtaine de langues, est devenu une référence majeure pour les historiens de l’URSS, lançant de nouveaux débats sur la nature du régime stalinien.

Avec cet ouvrage, Conquest s’affirme comme l’un des meilleurs spécialistes de l’empire soviétique. Parmi ses nombreuses publications – une vingtaine –, Moissons sanglantes, en 1986, démontre à nouveau sa perspicacité d’historien. Ce premier livre sur la Grande Famine qui dévasta l’Ukraine (1932-1933) établit, pour la première fois, la responsabilité pleine et entière de Staline dans les millions de morts qu’elle provoqua. « Encore une fois, Robert Conquest a irrévocablement démontré l’ampleur colossale des horreurs staliniennes. Il a correctement identifié leurs origines dans la pensée et les pratiques marxistes et pointé du doigt la cohorte des naïfs européens qui ont relayé les mensonges soviétiques, à l’époque de Staline et dans les décennies qui ont suivi », disait Stephen Kotkin, chercheur à l’Institut Hoover et professeur d’histoire à l’université de Princeton.

Proche de Margaret Thatcher

En effet, Robert Conquest ne ménage pas ses critiques à l’encontre des intellectuels occidentaux pour ce qu’il considérait comme de l’aveuglement devant le stalinisme (Bernard Shaw, Jean-Paul Sartre…). Farouche anti-communiste, pro-américain, il soutient, pendant la guerre froide, une politique ferme à l’égard de Moscou et des pays satellites. En 1967, il signe un appel collectif dans The Times pour défendrela politique menée par le gouvernement américain dans la guerre du Vietnam. Observateur engagé, il est également proche de Margaret Thatcher qui le consulte régulièrement sur la ligne à tenir face aux Soviétiques.

La chute de l’URSS ouvre pour lui une nouvelle ère, celle, à ses yeux, de son triomphe : l’ouverture des archives soviétiques confirme une partie de ses thèses. Quand il est question, en 1990, d’une nouvelle édition de La Grande Terreur,Conquest suggère un titre : « I Told You So, You Fucking Fools » (« Je vous l’avais bien dit, bande de cons »). Même si quelques-unes de ses hypothèses sont abandonnées et d’autres encore discutées, la grande majorité des historiens saluent aujourd’hui sa sagacité. Que doit-elle à l’expérience ? Pendant ses études à Oxford et en France, à Grenoble – sa famille, prospère, vit entre l’Angleterre et le Sud de la France –, le jeune Conquest est membre du Parti communiste de Grande-Bretagne. Il prend vite ses distances, cependant, et s’engage, pendant la seconde guerre mondiale, en tant qu’officier du renseignement. En poste en Bulgarie – pays dont il maîtrise la langue –, il s’installe de ce côté-là du Rideau de fer pendant plusieurs années, y restant après la fin de la guerre, puis rejoint, dans les années 1950, l’Information Research Department, créé par l’Intelligence Service pour « collecter et synthétiser des informations fiables sur les méfaits du communisme ».

Un poète anglais

Ce fut toutefois à une autre activité, bien loin de celle d’espion ou d’historien, que Robert Conquest dut sa première reconnaissance publique : la poésie. Dès 1937, il publie des recueils de vers. Dans les années 1950, il est l’une des figures du cercle « The Movement », avec Kingsley Amis et Philip Larkin. Le dernier ouvrage portant sa signature fut du reste, en 2009, une anthologie de ses poèmes, parue sous le titre Penultimata. C’est ainsi que cet intellectuel volontiers provocateur, au cœur des polémiques les plus chaudes de sa discipline, resta toute sa vie un poète anglais.


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