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marussie
17 mars 2015

Pour Alexeï Navalny, le Kremlin a donné son « feu vert » à l’assassinat de Boris Nemtsov

Alexeï Navalny, le 6 mars, lors de sa libération.

C’est derrière les barreaux, alors qu’il purgeait une peine de quinze jours de prison pour avoir distribué des tracts en compagnie de Boris Nemtsov à la sortie d’une bouche de métro, que l’avocat russe Alexeï Navalny, 38 ans, figure de l’opposition à Vladimir Poutine, a appris la mort de son ami, tué par balles en plein cœur de Moscou, à deux pas du Kremlin, le 27 février.

La manifestation que les deux opposants préparaient pour le 1er mars s’est transformée en hommage funéraire. Ce lundi 16 mars, dix jours après sa sortie de prison, Alexeï Navalny a reçu Le Monde dans ses vastes bureaux un peu vides, situés dans une galerie commerciale de Moscou. Le blogueur anticorruption dit être financé par « 20 000 donateurs » anonymes qui soutiennent son combat.

Lire : l’intégralité de l’entretien

Qui a tué Boris Nemtsov selon vous ? Quel est votre avis sur l’enquête qui a mis en avant la piste tchétchène ?

J’exclus tout à fait que cet assassinat ait été possible sans autorisation du pouvoir. Je peux vous confirmer qu’ayant été moi-même sous contrôle du FSB [services de sécurité et de renseignement russes], comme l’était Boris Nemtsov, il est impossible qu’ils n’aient pas vu les tueurs et ce qui se préparait. Soit ils ont agi ensemble, soit ils ont laissé faire.

Pendant les quinze jours que j’ai passés en prison, j’ai lu Boukovski [ancien dissident soviétique, cofondateur en 2008 avec Nemtsov d’une organisation démocrate] et je m’amusais de ses descriptions quand les agents du KGB faisaient la queue pour lui à la boulangerie… Je ne crois pas à un ordre direct du Kremlin, mais plutôt à une déclaration informelle de Vladimir Poutine et des dirigeants disant à Ramzan Kadyrov [le président de la République de Tchétchénie] : « On espère ­votre aide contre la 5e colonne. » Et Kadyrov a bien compris cet appel.

Je le répète, je ne crois pas à un ordre direct au cours d’une réunion bien organisée, mais à une sorte de feu vert, oui. Lui dire « J’apprécie ton travail » suffit. Regardez la cérémonie filmée dans un stade de Grozny [le 28 décembre 2014] où Kadyrov exhorte 20 000 hommes en armes « à prendre des initiatives » et à « suivre les ordres de Vladimir Poutine ». Il n’a d’ailleurs pas eu honte d’affirmer que le principal suspect était un « vrai patriote de Russie », comme s’il disait, « oui, il a tué, mais c’est un bon patriote ».

Lire : La piste tchétchène privilégiée par Moscou après le meurtre de Boris Nemtsov

Vous ne croyez pas à la piste d’extrémistes islamistes ?

Pas du tout ! Mais cette version est très intéressante pour le Kremlin. Ça ne vous plaît pas, la censure ? Faites attention aux extrémistes ! Vous allez manifester ? Attention… L’assassinat de Boris Nemtsov sert les intérêts du pouvoir, pour faire peur, pas seulement à l’opposition mais aussi à toute l’élite. Aujourd’hui, on évoque une « liste » de personnes visées, on ne parle plus dans l’opposition de politique, mais de sécurité !

Boris aurait pu devenir président, il avait travaillé dans le système. Depuis Staline, une règle non écrite faisait qu’on ne s’en prenait pas, pour le tuer, à un membre du système. Lors de la dernière conversation que j’ai eue avec Nemtsov, et alors que je lui redisais que j’étais sous pression permanente, il m’avait répondu : « Poutine m’empêchera de participer aux élections, mais il ne fera rien contre moi car, lorsque j’ai été au gouvernement, nos bureaux étaient à côté. »

On a tué Boris Nemtsov de façon « démonstrative », et aucun garde du corps n’aurait pu le protéger. C’était cela le message : « Même si vous pensez être protégé, ne rejoignez pas l’opposition. » Je savais qu’il préparait un rapport sur la présence de soldats russes en Ukraine sur la base de faits très concrets. Sur son compte Facebook, il avait d’ailleurs mis en avant celle de combattants de Kadyrov envoyés en Ukraine avec la bénédiction du Kremlin. Mais nous avons sous-estimé la détermination de Vladimir Poutine et de son entourage à défendre le pouvoir non d’un empire, mais d’un empereur, qui veut l’être à vie.


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marussie
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